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ÉVÉNEMENTS

samedi 8 - dimanche 9 juillet 2023

Le Figaro - Champs libres / Histoire

Ces officiers français qui renseignaient les alliés avant le débarquement

par Yolande Baldeweck.
Le Figaro

https://www.lefigaro.fr/actualite-france/ces-officiers-francais-qui-renseignaient-les-allies-avant-le-debarquement-20230708



Éric Kauffmann (à droite), propriétaire du MM Park et Dominique Soulier, conservateur de l’établissement, le 5 juin, à La Wantzenau

Éric Kauffmann (à droite), propriétaire du MM Park et Dominique Soulier, conservateur de l’établissement, le 5 juin, à La Wantzenau.
Jean-Marc LOOS/PHOTOPQR/L'ALSACE/MAXPPP

La flamme ravivée des «éclaireurs» du 6 juin 1944

GRAND RÉCIT - Au Musée MM Park, qui abrite à côté de Strasbourg la plus importante collection militaire privée d’Europe, une salle est dédiée à l’aventure des «Sussex», ces jeunes officiers français engagés pour renseigner les Alliés sur l’état des troupes allemandes avant le Débarquement. Oubliés lors des manifestations officielles, ils sont les précurseurs du renseignement actuel.


Strasbourg

«Vous, les Sussex, avez été les éclaireurs du Débarquement», les avait salués le général Donovan, chef des services secrets américains, dès le lendemain de l’armistice de 1945. À l’exception de Joseph Kessel, qui a fait partie de l’escadrille Sussex, ces 120 jeunes militaires français, infiltrés en France occupée à partir de février 1944 pour préparer le débarquement de Normandie, sont pour la plupart tombés dans l’anonymat. Pourtant, il leur fallut de l’audace, de l’abnégation et, sans doute, une certaine dose d’inconscience. «Avant tout, ils avaient un idéal», témoigne l’Alsacien Dominique Soulier, un ancien cadre supérieur de 67 ans qui collectionne depuis trente-cinq ans les souvenirs liés au plan franco-américano-britannique «Sussex». Son père, Georges Soulier, d’origine lyonnaise, s’était engagé alors qu’il avait rejoint le 2e régiment de spahis à Tlemcen. Formé à St Albans, au nord de Londres, il a été parachuté à l’ouest d’Angers, comme «radio». La guerre terminée, très pris par sa carrière au contre-espionnage à Strasbourg, Georges - que son nom de guerre - a renoué tardivement avec ses camarades, dont il ignorait souvent l'identité. Par son entremise, son fils a pu les rencontrer entre 1994 et 2014. Ils lui ont même légué les archives de leur amicale.


Depuis 2016, la collection Sussex a trouvé sa place au MM Park, l'impressionnant musée militaire privé de la Seconde Guerre mondiale situé à côté de La Wantzenau, un village au nord de Strasbourg. Lors de sa création, son propriétaire et collectionneur Eric Kauffmann a mis à la disposition de Dominique Soulier, devenu le responsable bénévole des relations du musée, une vaste salle dédiée à ces résistants de l'ombre. Sur les photos en noir et blanc affichées au mur, ces 118 hommes et 2 femmes semblent éternellement jeunes. Ils avaient entre 17 ans et 26 ans lorsqu'ils se sont engagés. Trois seulement avaient dépassé les 30 ans. Le benjamin avait triché sur son âge... Leur «légataire» a mis en scène, dans des vitrines, 300 objets et autres souvenirs - ordres de mission, faux papiers, faux certificats de travail, médailles -, dont 80% lui ont été confiés par des membres du réseau.


Ces objets ont souvent une histoire incroyable, comme cette combinaison qui avait servi pour un saut en parachute et devait être immédiatement détruite, mais qui réapparut des dizaines d'années plus tard chez un fermier qui l'avait cachée. Ou ce poste émetteur-récepteur, semblable à celui utilisé par Georges Soulier : un étonnant S-Phone pour les liaisons sol-air non cryptées. Ou encore ces multiples «gadgets» destinés à cacher les messages, et cette chevalière qui permettait de dissimuler une mini-boussole ou une ampoule de cyanure. «Mon père avait dû cacher son comprimé de cyanure dans son col. On l'avait prévenu qu'un "radio", largué en France ossupée, avait une espérance de vie de quatre mois», observe Dominique Soulier, qui a consacré deux ouvrages au plan Sussex et au plan complémentaire Proust(1), avec de nombreuses illustrations détaillant les différentes missions. On trouve aussi ces «prises de guerre» de certains agents Sussex qui ont participé à la libération de Paris, puis accompagné de la 2e DB pour des missions d'infiltration en Alsace, puis en Allemagne.


L'opération Sussex avait été imaginée dès l'automne 1942 par l'état-major d'Eisenhower, inquiet de la fiabilité des informations nécessaires pour préparer le Débarquement et l'offensive qui suivrait. Car de nombreux réseaux de résistants français avaient été démantelés par la Gestapo ou infiltrés par des sympathisants nazis. Seuls des Français pouvaient se fondre dans la population pour renseigner les alliès. D'abord réticent, de Gaulle finit par accepter le recrutement de militaires français. Le colonel André Dewavrin, alias Passy, chef du Bureau central de renseignement et d'action (BCRA), basé à Londres, gaulliste de la première heure, fut chargé de participer à la mise au point du plan Sussex, avec les services secrets américains (OSS) et britaniques (SIS). Gilbert Renault, alias le colonel Rémy, représentera la France libre au sein du commandement tripartite et participera au recrutement de chaque agent, les instructeurs étant anglais et américains.


Au péril de leur vie

«C'était une seule et même mission conduite par les Anglais, Les Américains et les Français libre qui oublièrent leurs querelles. Ce fut assez original à l'époque pour être signalé», souligne Dominique Soulier, qui connaît de multiples anecdotes liées aux 60 missions du réseaux Sussex. Recrutés à partir de l'automne 1943 essentiellement dans les unités d'Afrique du Nord et convoyés à Londre, les militaires - promus lieutenants - suivent des formations poussées et des entraînements intensifs. Ils seront parachutés par binômes, un «observateur» et un «radio», en tenant compte de leur affinités. Ils devront renseigner les Alliés sur les mouvements des divisions allemandes, sur les dépôts de munition et notamment les fusées V1, déclenchant ainsi des bombardements précis sur ces cibles. «Ils étaient les précurseurs du service de renseignement actuel», commente Dominique Soulier.


L'opération est lancée le 8 février 1944. Quatre jeunes officiers - parmiu lesquels Jeannette Guyot, qui sera la première Sussex à toucher le sol français - sont parachutés pour localiser les terrains de largage et zones d'atterrissage pour les missions suivantes. Ils en trouveront vingt-deux et une centaine d'«asiles» chez les particuliers, prêts à héberger l'un de leurs camarades au péril de leur vie. Jeannette, sillonnant la France, trouve refuge chez Andrée Goubillon, qui tenait un café dans le 5e arrondissement de Paris. Malgré la proximité d'un bureau de la Gestapo, cette femme accepte de devenir le contact des équipes Sussex. Après la libération et jusqu'à sa mort, en 1988, une table leur sera réservée chaque premier vendredi du mois. «Joseph Kessel, qui a fait partie de l'escadrille Sussex, a été l'un de ces habitués», signale notre guide. À bord d'un B-25 Mitchell, avec son ami André Bernheim, l'écrivain âgé alors de 46 ans, connu comme «Marius», faisait des aller-retours au-dessus de la France occupée pour recueillir les renseignements des agents à terre, entre autres le capitaine William Bechtel, alias Louis Bonnet, vétéran de 1914-1918, le plus ancien des Sussex. «Ces renseignements permettaient de déclencher des attaques des avions de chasse ciblées sur le chars et troupes ennemies. Comme celle qui a visé la voiture du maréchal Erwin Rommel, grièvement blessé le 17 juillet 1944 sur une route de Normandie », relève Dominique Soulier.


ERIC KAUFFMANN
Dans d'autres lieux, on voit rarement les auxiliaires féminines et les formations paramilitaires

ERIC KAUFFMANN, PROPRIETAIRE DU MM PARK


Parcours didactique

Certaines missions se sont terminées tragiquement. La seconde femme de l'opération Sussex et ses cinq compagnons, parachutés en même temps - ce qui était exceptionnel - sont démasqués par les Allemands. Un seul réussit à s'enfuir. Évelyne Clopet, Roger Fosset, André Noël, Aristide Crocq, Marcel Biscaïno seront torturés, puis fusillés le 10 août 1944, près de Vendôme. Cinq autres agents Sussex parachutés ont été fusillés, cinq ne seront pas rentrés de déportation, sans oublier les 34 personnes tuées pour les avoirs aidés. «Mais aucun des agents torturés ne livrera jamais le nom de ses camarades», écrit le colonel Rémy dasn ses mémoires. Notre guide s'arrête devant la photo de Jacques Voyer, futur prêtre, qui fit trois missions, avant d'être arrêté dans la région de Chartres. «Pendant huit jours il est torturé par la Gestapo. Ses bourreaux lui avaient scié les dents, puis l'ont emmené, assis sur son cercueil, jusqu'au lieu où ils l'ont fusillé pour espionnage le 27 juin 1944. Il leur a dit: je meurs en bon Français et en bon chrétien», rapporte Dominique Soulier. Jacques Voyer sera «le seul Sussex à être fait compagnon de la Libération, à titre posthume, par le général de Gaulle», noteètèil, en sous-entendant que d'autres auraient mérité cette reconnaissance...


Cette collection Sussex n'occupe cependant qu'une petite partie du MM Park, qui accueille quelque 30 000 visiteurs par an. Le site abrite la plus importante collection militaire privé d'Europe, rassemblée par Éric Kauffmann. Sa passion remontre à sa jeunesse, lorsqu'il avait rénové avec son père une vieille Ford «produite en Allemagne pendant la guerre», trouvée dans la grande d'un agriculteur. Par la suite, tout en développant la société informatique créée par son père, le chef d'entreprise de 54 ans a acheté des centaines d'armes et d'uniformes, et d'innombrables véhicules et blindés. D'où l'idée de créer un musée, avec des animations ludiques pour les jeunes, mais aussi une armurerie et un club de sport, plus rentables.


Le parcours est didactique, avec plusieurs salles consacrées aux uniformes, présentés sur 500 mannequins des pays belligérants. «Dans d'autres lieux, on voit rarement les auxiliaires féminines et les formations paramilitaires. Nous avons aussi rajouté des présentations d'uniformes russes et bulgares», remarque Éric Kauffmann, dont l'épouse est bulgare. Homme discret, connu dans le petit monde des collectionneurs, il reste à l'affût des ventes. Parfois, il est sollicité par des personnes dépositaires d'un objet, ce qui fut le cas pour la tenue du commandant Philippe Kieffer, qui avait débarqué le 6 juin 1944 en Normandie avec ses hommes. Parmi lesquels Léon Gautier, dernier des 177 fusiliers marins du commando Kieffer, décédé le lundi 3 juillet. Éric Kauffmann a racheté cet uniforme à un ancien parachutiste de Pau. «Il a compris dans quel esprit nous le présenterons», glise-t-il. Un mannequin spécial a été créé en 1962, avec une tête en silicone sculptée à partir d'une photo.


Caverne d'Ali Baba

La partie la plus spectaculaire du musée, qui surprend même les militaires, est la présentation, dans le grand hall, de 120 véhicules, chars, voitures amphibies, canons, chenillettes, jeeps. Sans oublier le Messerschmitt accroché au plafond. Certains de ces véhicules ont été rachetés à des musées privés, obligés de fermer. La plupart ont été rénovés dans l'atelier adjacent, une véritable caverne d'Ali Baba, où deux chars Renault sont en attente d'un lifting. «Aucune pièce n'est postérieur à 1945. Les deux tiers des véhicules sont en état de marche», insiste l'un des guides bénévoles, André Fuchs, un ancien enseignant sûr de son effet lorsqu'il s'arrête devant le mythique Souffleur II, conduit par Jean Gabin lors de sa participation aux combat de la 2e DB.


«Parler de Gabin, c'est montrer qu'un acteur connu a mis de côté sa carrière pour participer aux combats de la France libre. C'est un message important pour les jeunes d'aujourd'hui», commente Dominique Soulier, lui-même réserviste et soucieux des liens avec les militaires du renseignement présents aux camp d'Oberhoffen et avec l'Éducation nationale. Sollicité par le maire de La Wantzenau pour participer, le 25 novembre dernier, à la commémoration de la Libération par la 2 DB et le général Leclerc, Éric Kauffmann a conduit le char Sherman de la collection jusqu'au centre du village. Il lui reste à hisser sur le toit du musée le DC 3 Dakota, petit avion à hélices qui a participé au débarquement en Provence et qui attend pour le moment d'être repeint sur le parking.


(1) «Le Plan Sussex. Guerre secrète en France occupée» (Histoire et collections) et «Le Plan Sussex. Très secret» (Éditions MM Park). En vente au musée, situé 4, rue Gutenberg à La Wantzenau.
Ouvert tous les jours, y compris les jours fériés de 9 heures à 18h30.


MM PARK, 4 rue Gutenberg, 67 610 La Wantzenau. Accueil du MM Park : 03-88-59-25-43.
Mail : contact@mmpark.fr


Par Yolande Baldeweck - 8 juillet 2023

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